11 janvier 2019

Les athlètes professionnels ont-ils le droit à l’erreur ?

Des menaces de mort. Rien de moins. C’est ce qu’a reçu, entre autres (parce qu’il a aussi eu de l’argent, gracieuseté des fans des Eagles) Cody Parkey après avoir raté le botté de 43 verges qui a permis aux Eagles de Philadelphie de remporter le match éliminatoire les opposants aux Bears de Chicago.

Photo: Getty Images / Jonathan Daniel

C’est cher payé un peu pour un botté raté dévié, non ? Parkey a marqué neuf des 15 points des Bears après tout dans cette même rencontre. Il a fait sa part, puis il a commis une erreur. Une erreur, comme j’en fais, comme vous en faites aussi sans doute une fois de temps en temps au travail. Vous me direz qu’il avait tendance à frapper la barre transversale un peu trop souvent (pas moins de quatre fois contre les Lions de Détroit plus tôt dans la saison). Qu’au salaire qu’il gagne, il doit réussir. Ou bien, vous me parlerez du rapport entre la main de Treyvon Hester et la vélocité du ballon et martèlerez que, finalement, ce n’est pas sa faute.

Reste que les dommages sont faits. Parkey a été f-u-s-t-i-g-é. On a tous une opinion et beaucoup, beaucoup, beaucoup d’entre nous la partagent. Sur Twitter, sur Facebook, sous forme de gifs, de vidéos faites maison, et plus encore. Les erreurs, en 2019, ne passent plus inaperçues, particulièrement celles des athlètes professionnels. Mais y ont-ils droit, comme nous, à l’erreur ?

Pour un botteur, la pression est énorme et les écarts sont quasi inadmissibles. « On est employé pour ça, pour réussir des bottés. Malheureusement, on a qu’un seul essai, ça passe ou ça casse, rappelle Boris Bede qui a marqué 30 % des points du corps montréalais sur des bottés de précision en 2018. C’est ce qui est dur à notre position. T’as beau marquer 45 points dans le match, si tu ne marques pas les derniers qui feront gagner ton équipe, on parlera juste du botté manqué. »

Les critiques sont-elles aussi vives à l’égard de tous les sportifs et, même, à l’égard des joueurs de différentes positions au football ? À cet effet, notre receveur Geno Lewis partage l’avis de Boris. « On devrait tous être tenus de répondre aux mêmes standards, mais la réalité c’est que les attentes à l’égard des quarts-arrière et des botteurs sont incroyablement élevées. Le quart-arrière parce qu’il est la pièce maîtresse de l’attaque et le botteur parce qu’on considère qu’il a un seul rôle à jouer. »

Au cours de leur carrière universitaire, puis en entrant chez les pros, les gars apprennent, à leur manière à gérer cette pression qui, avec l’explosion des réseaux sociaux et l’importance accordée à la liberté d’expression, a gonflé de façon démesurée dans la dernière décennie. Il y a quelques années encore, un athlète devait composer avec les commentaires de journalistes transmis dans les journaux et à la radio ou encore avec les huées de fans mécontents au stade. Aujourd’hui, ce sont des millions de personnes qui t’engueulent (et qui parfois souhaitent ta MORT!) d’un seul coup. Il y a quelques mois, notre partenaire, VICE, a publié une vidéo assez surprenante mettant en vedette notre quart, Vernon Adams Jr, qui s’est ouvert sur la question de la santé mentale chez les athlètes, particulièrement chez les joueurs de foot. La conclusion c’est que c’est encore tabou et que de s’exprimer sur quelconque problème ou souci psychologique est synonyme de faiblesse, de manque de virilité.

« Tu ne veux pas être perçu comme étant trop émotif. Je n’ai jamais fait appel aux services d’experts parce que je me considère très solide psychologiquement, affirme Lewis qui, vous pouvez me croire sur parole, n’entend pas à rire après avoir échappé un ballon sur le terrain. Je me mets une pression énorme sur les épaules. Je me souviens, en 2017, en Saskatchewan, je n’ai pas capté une passe qui aurait pu nous donner la victoire. Je m’en suis tellement voulu ! Je ne voulais pas qu’on me réconforte, je voulais qu’on me corrige. »

Pour Geno, la capacité à performer sous haute pression est d’ailleurs ce qui distingue les légendes du reste des athlètes.

« La pression crée des perles rares. Il y a des gens qui s’illustrent dans les moments les plus stressants, d’autres qui s’écroulent, poursuit-il. Perso, je me nourris du doute. J’aime quand les gens doutent de moi, parce que ça me donne l’occasion de leur prouver qu’ils ont tort. »

Si certains ont une plus grande facilité à transformer le feedback négatif en énergie positive, d’autres préfèrent se mettre en mode silence. Pour accéder au niveau professionnel, comme athlète, il faut posséder un côté perfectionniste. La pression de réussir, tu te la mets sur tes propres épaules et tu te forces à repousser tes propres limites. Généralement, c’est suffisant.

Boris Bede

« Les standards que tu as pour toi-même doivent être les plus élevés. Tu travailles tous les jours pour les atteindre en match et pour que ton mouvement devienne parfaitement naturel, confie Boris qui affirme ne pas trop s’attarder au bruit extérieur. Au niveau universitaire, tu es dans une bulle, tu es encadré et protégé. Quand t’arrives chez les pros, tu dois développer une certaine maturité professionnelle pour apprendre à te contrôler, à te gérer toi-même. Ça devient ton travail. T’es responsable de tes performances et de ce tu fais sur le terrain. C’est ton CV que tu vends sur le terrain. »

La pression peut-elle donc être une excuse quand un joueur professionnel commet une erreur ?

« C’est une bonne question. La préparation et la visualisation devraient être suffisantes. Plus je lis sur le sujet, plus j’apprends, plus je constate à quel point la préparation visuelle est cruciale, surtout à ma position où tout botté doit être le même. Que ce soit le botté d’envoi ou le dernier botté du match pour gagner la Coupe Grey, tu dois l’exécuter de la même façon. Tu devrais être libre de stress parce que tu l’as travaillé en continu pendant des années. Tu ne peux pas perdre la confiance en ton mouvement. »

Après avoir aidé le ROUGE et OR à remporter la Coupe Vanier en 2012 et 2013, Boris a, comme Cody Parkey, vécu le pire cauchemar d’un botteur. Avec deux secondes à jouer à la finale de 2014, il ratait un botté de précision de 48 verges qui aurait entraîné une prolongation et possiblement permis à Laval de conserver son titre de championne pour une troisième année consécutive. Cette défaite, Boris l’a prise sur lui.

« Dès que le ballon sort de ton pied, t’en es responsable. Même si le ballon avait été dévié, je l’aurais pris sur moi », concède Bede.

Toutefois, autant Boris et Geno sont d’accord que le blâme ne peut être jeté sur une personne.

« Je ne pense pas qu’un joueur peut à lui seul faire perdre un match à une équipe. Il y a des circonstances, il y a une série de jeux qui mènent à un autre, explique Lewis. On s’attend tous à ce que le gars à côté de nous fasse son boulot. C’est une question de confiance. »

Eugene Lewis

Le raisonnement est le même en cas de victoire. Un joueur ne fait pas le match, même le jeu. Superbowl 2008, Giants VS Pats. C’est 14 à 10 pour les Patriots avec 1 :15 minutes à jouer. Troisième et cinq à la ligne de 40 de NY. Manning rejoint le receveur David Tyree qui attrape le ballon et l’appuie contre son casque à une main pour ne pas en perdre le contrôle. Le jeu de la décennie, selon NFL Films. Un jeu qui aurait pu finir tout autrement si l’ensemble des actions s’était déroulé différemment. Ce n’est pas l’affaire d’un receveur. C’est l’affaire de deux joueurs de ligne défensive et d’un secondeur ultra performants qui, exceptionnellement, ont raté leur sac. C’est l’affaire d’un quart qui après avoir esquivé la pression a vu son receveur modifier sa trajectoire pour revenir vers la ligne de mêlée. Rien ne s’est passé comme prévu sur ce jeu. Les circonstances ont fait qu’il a marché, mais il aurait pu foirer.

« Dans des situations décisives, il y a deux résultats possibles : tu deviens un héros ou un zéro, a conclu Lewis au terme d’une longue discussion. Qu’on ait le droit à l’erreur ou pas selon le monde extérieur, la réalité c’est qu’on va en faire, des erreurs. L’important, à mon avis, c’est de faire plus de bien que de mal et, ça, ça s’applique à tout le monde. »

Quand un fan paie pour assister à un match, il s’attend à en avoir pour son argent. C’est compréhensible. Le sport, c’est du spectacle. Vous voulez un bon spectacle. Mais le sport, c’est aussi beaucoup, beaucoup d’émotions, autant sur le terrain que dans les gradins ou dans un salon. Et il n’y a rien de plus humain que l’émotion. Humain comme vous et moi, comme ceux qui jouent au foot pour gagner leur vie.