Herb Trawick a marqué l’histoire en 1946 lorsqu’il est devenu le premier joueur noir de la Ligue canadienne de football. Jackie Robinson s’était joint aux Royaux de Montréal quelques mois auparavant et sa popularité a encouragé Lew Hayman des Alouettes à recruter Trawick comme l’un des cinq américains permis sur l’équipe. Du haut de ses 5 pieds 10 pouces et 230 livres, Trawick était incroyablement rapide pour un homme de sa stature et a été rapidement adopté par les partisans montréalais suite à ses impressionnantes performances sur le terrain. Par contre, tout comme Robinson, Trawick faisait fréquemment face à des propos racistes et à de la discrimination.
« Mon père et Jackie Robinson sont devenus amis et sont passés à travers les mêmes épreuves. Ça les a aidés d’être si proche, car ils pouvaient passer à travers ces moments difficiles ensemble. L’un comprenait ce que l’autre vivait », expliquait Herb Trawick Jr. « J’ai entendu ces histoires lorsque j’étais plus jeune, mais c’est seulement quand j’ai vieilli que j’ai compris l’importance que Jackie Robinson et mon père avaient eu dans l’histoire. Et cela a été un moment très révélateur pour moi. »
« Je ne me souviens de rien d’autre que de l’amour envers mon père de la part des montréalais. Mais il y avait tout de même une démarcation. » Si les gens de Montréal étaient plus réceptifs et ouverts d’esprit, ce n’était pas toujours le cas ailleurs. Initialement, les Rough Riders d’Ottawa et les Argonauts de Toronto avaient menacé de boycotter les matchs si Trawick jouait pour Montréal.
« C’est quasiment difficile à imaginer mais si on regarde les événements qui se passent aux États-Unis et ailleurs dans le monde, ce n’est pas si loin de nous. C’était horrible, tout se réduisait à l’idée que tes exploits, ta contribution ou ton intelligence n’entraient pas en ligne de compte…tu valais moins qu’un autre à cause de la couleur de ta peau. Et c’est complètement inacceptable. »
Se démarquant autant sur la ligne offensive que défensive, Trawick a joué brillamment pendant 12 saisons et est devenu le premier joueur à être nominé sur l’équipe de l’est à 7 reprises. Il était adoré des Montréalais, capitaine de l’équipe, joueur étoile, mais aussi tôt que la saison de football terminait, les opportunités d’emploi étaient limitées.
« Ce qui est fascinant est ce que mon père devait faire durant la saison morte…Une saison il était portier, une saison il faisait de la lutte, une saison il vendait des souliers. » Trawick Jr. se souvient que son père a toujours géré cette bizarre juxtaposition avec prestance et dignité. « Devoir vivre ça a dû être très difficile et j’ai énormément d’admiration pour la grâce avec laquelle il a traité sa situation. Il m’a toujours appris que tu devais faire face à n’importe quelle situation avec fierté et grâce et toujours aller de l’avant. »
Après avoir raccroché ses crampons en 1957, Trawick aurait aimé obtenir un poste d’entraîneur mais personne ne lui a offert l’emploi. « À cette époque, être entraîneur était un peu comme être quart-arrière. ce n’était pas quelque chose qu’un homme noir pouvait faire. Et ça, c’est le visage insidieux du racisme systémique. Les gens ne réalisaient pas nécessairement qu’ils étaient racistes…les choses étaient tout simplement ainsi. Et ça a pris certaines personnes pour briser ces barrières. »
C’est seulement en 1980 que l’on a pu voir un premier entraîneur-chef noir dans la LCF, lorsque Willie Wood a pris les rênes des Argonauts de Toronto. 24 ans plus tard, en 2004, Michael Pinball Clemons est devenu le premier entraîneur-chef noir de la LCF à remporter une coupe Grey.
Trawick a adopté la ville de Montréal et a obtenu sa citoyenneté canadienne en 1953. « Mon père n’a jamais voulu quitter le Canada, et il ne l’a jamais fait. Ce pays lui a donné l’opportunité de vivre ses rêves et de partager ça avec les autres ». Il s’est bâti une fructueuse carrière suite à sa retraire du football et est devenu une figure marquante dans la communauté. La ville a même inauguré un parc en son honneur dans le quartier Petite-Bourgogne de 1997.
« Je suis revenu à Montréal quand il est décédé. C’était fascinant de voir tout l’amour, les honneurs et les accolades que les Montréalais avaient envers mon père, même si ça faisait plus de 35 ans qu’il avait pris sa retraite. »
Et selon Trawick Jr., ça devrait nous servir de leçon. « Soyez gentils avec les autres, soyez bienveillants et restez intègres avec vous-mêmes. C’est ce que j’ai appris de lui et ça a toujours fonctionné pour moi. »
Bien que diverses mesures aient été mises en place pour améliorer le sort et les droits des noirs au fil du temps, le racisme est un fléau encore largement répandu. George Floyd. Ahmaud Arbery. Breonna Taylor. Eric Garner. Tamir Rice. Trayvon Martin. Oscar Grant. Ces noms nous rappellent tout le travail qu’il reste à faire pour combattre le racisme et l’injustice sociale.
« C’est en grosse partie basé sur la peur et les stéréotypes », explique Trawick Jr. « Et la manière de vaincre la peur est de la confronter. Il ne faut pas se laisser emporter par nos craintes. Je ne peux pas changer qui je suis pour éliminer ta peur. Viens me voir, viens apprendre à me connaître et ensuite prend ta décision. »
Au lieu de se sentir impuissant par-rapport à la situation, on devrait plutôt se sentir inspiré à prendre action. Trawick Jr. se souvient que son père lui avait appris que la manière la plus rapide de faire tomber ces barrières est de s’asseoir avec ceux qui ne te connaissant pas, ou qui ont des idées préconçues et de passer quelques minutes ensemble. « Peu importe d’où tu viens, si tu ris ou si tu penses que je suis intelligent, on va développer un lien, ce qui va aider à éliminer le stéréotype que la personne avait. »
« Fondamentalement, le racisme est comme un sport d’équipe. Si on exécute tous le même jeu et qu’on fait tous notre travail, le jeu va fonctionner. Si on ne travaille pas ensemble, on va perdre. Pourquoi voudrais-tu perdre? Pourquoi ne voudrais-tu pas être fort? Regarde à quel point tout va mieux quand on s’entraide. Ça serait le conseil de mon père. »