Article traduit par Francis Dupont.
Des dîners gratuits au Curly Joe’s Steakhouse sur la rue Metcalfe, aux traitements royaux sur la Crescent, ou encore des réductions intéressantes sur des vestons trois-pièces, les années 1970 étaient une époque faste pour les Alouettes de Montréal.
Lorsque les Als sont partis pour Vancouver pour la semaine de la Coupe Grey en 1974, l’excitation régnait à travers la province de Québec et la ville de Montréal. Mais à leur arrivée en Colombie-Britannique dans les premières heures du matin, tous les avantages qu’ils avaient ont disparu.
« On est arrivés (à Vancouver) vers une heure du matin, raconte l’ancien demi de coin des Alouettes, Phil Price. « La ligue avait choisi l’hôtel pour nous pendant les éliminatoires à l’époque. Ils nous ont mis dans un hôtel pourri. Vous ne croiriez pas cet hôtel dans lequel ils nous ont mis. »
Le propriétaire de l’équipe à l’époque, Sam Berger, est intervenu et a décidé de prendre les choses en main pour s’assurer que ses joueurs soient à l’aise avant le grand match.
« L’entraîneur-chef Marv Levy nous a dit qu’on allait ranger nos affaires le matin et quitter cet endroit, explique Price. Les lits étaient beaucoup trop petits pour nous, et c’était juste horrible. Ils nous ont déplacés à l’Inn Bayshore. Quand on est arrivés à l’Inn Bayshore, Carl Crennel était mon colocataire. J’ai ouvert les rideaux et j’ai vu un grand bateau entrer dans le port. J’ai dit : ‘Oh mon Dieu, Carl, regarde ça ! Regarde où Sam Berger nous a mis. Hé Carl… on doit gagner cette Coupe Grey pour Sam Berger.’ »
C’est ainsi que la semaine de la Coupe Grey a commencé pour les Alouettes en 1974. Non seulement ils devaient se préoccuper des Eskimos d’Edmonton dirigée par le quart-arrière vedette Tom Wilkinson, mais ils devaient aussi faire face à des défis comme des hôtels médiocres et une semaine de temps pluvieux.
« Il a plu tous les jours, se souvient Price. On utilisait des parapluies pendant l’entraînement. Vous avez déjà entendu parler de ça ?
On avait des parapluies pendant l’entraînement, sur les lignes de côté. Le lendemain, le Vancouver Sun a publié une photo de nous tenant des parapluies dans le journal (rire). »
Les conditions humides ont persisté jusqu’au jour du match. Il pleuvait et c’était boueux au Empire Field, ce qui donnait un net avantage aux défensives. Pour mettre les choses en perspective, à la mi-temps, les Alouettes avaient accumulé 79 verges, tandis qu’Edmonton en avait 78. Il était difficile de garder le ballon. Plusieurs joueurs ont échappé le ballon, y compris le porteur des Eskimos, Calvin Harrell, qui a perdu l’objet ovale mais l’a récupéré dans la zone des buts pour donner à son équipe une avance de 7-0 en première mi-temps.
Ainsi, il n’est pas surprenant que le jeu qui a changé le cours du match en faveur de Montréal soit venu de la défense grâce à un gros plaqué qui a fait échapper le ballon.
« Il pleuvait, se souvient l’ailier défensif Junior Ah You depuis sa maison à Hawaï, 50 ans plus tard. Je pense que c’est ce qui m’a amené dans la ligue. Moi, je viens d’Hawaï, mais j’ai joué dans des matchs où il a fait moins de zéro à Calgary et Winnipeg. Je trouvais ça génial d’être là. Une fois que tu as des pensées négatives, ça affecte toute ta performance. Tu dois penser positivement. Tout le monde portait beaucoup de vêtements (pendant le match). J’ai tout essayé, mais je ne pouvais pas bouger. Je n’étais pas habitué à porter autant de vêtements d’hiver. Alors, je me suis dit que j’allais être un fou et courir et plonger partout pour me garder au chaud (rire). »
Et c’est exactement ce qu’a fait Ah You.
Avec moins de huit minutes à jouer au deuxième quart, les Als tiraient de l’arrière par un seul point, et la défense est entrée sur le terrain. L’attaque des Eskimos était dans son propre camp et elle était aussi privée de Wilkinson, qui s’était blessé à l’épaule après un plaqué d’Ah You. Bruce Lemmerman était le centre pour Edmonton. Il a pris le ballon et l’a remis à Roy Bell, qui avait couru pour plus de 1 300 verges pendant la saison régulière. Bell a été arrêté par deux jouuers défensifs des Alouettes avant d’atteindre la ligne de mêlée. L’un d’eux était Ah You, qui a frappé Bell et a l’a fait échapper le ballon. Price l’a récupéré et l’a ramené jusqu’à la ligne des huit verges d’Edmonton.
« J’essaie de remettre mes pensées en ordre. Ça fait un moment et il y a tellement eu de matchs, a déclaré Ah You lorsqu’on lui a demandé de parler de ce jeu en particulier. Incroyable, je peux ressentir l’adrénaline en parlant de ça. Je peux le visualiser. Je peux visualiser le moment où je lève la tête et je vois Phil Price courir sur le terrain. »
Vu l’importance du jeu qu’il a réalisé en 1974, il n’était pas surprenant qu’il soit désigné « joueur du match en défensive ».
C’est ce qu’Ah You a fait. Il a été l’élément central de la défense des Alouettes pendant des années et l’un des joueurs défensifs les plus marquants de l’histoire de la LCF. À 75 ans, il a passé neuf saisons avec les Alouettes. Il a été sélectionné deux fois sur l’équipe d’étoiles de la LCF et quatre fois sur l’équipe d’étoiles de la division Est. La Coupe Grey de 1974 a été la première de ses deux victoires avec les Alouettes.
« Je recule et je regarde parce que mon homme ne faisait rien, a raconté Price au sujet de l’action qui a mené à ce revirement crucial. J’ai vu qu’ils ont remis le ballon à Bell. Je me suis rendu compte que c’était une course, et j’ai vu Junior contourner le joueur qui était censé le bloquer. Je savais que Junior allait frapper Bell et Bell ne savait même pas qu’il allait se faire frapper. Alors, je me suis préparé, pour un échappé potentiel.
« Il (Ah You) était l’un des meilleurs ailiers défensifs parce qu’il était l’un des gars les plus rapides que j’aie jamais vus. Ce qui me fascinait chez Junior, c’était sa vitesse. Il jouait de mon côté du terrain, donc les équipes ne venaient pas souvent vers nous. On était tranquilles (rire). Ils ne venaient pas de notre côté à cause de Junior. »
Les deux joueurs ont réalisé de nombreux jeux pour les Alouettes au fil des ans, mais aucun n’a été plus grand que l’échappé qu’Ah You a provoqué et que Price a récupéré contre Edmonton le 23 novembre 1974.
Price, qui vit maintenant à Regina, en Saskatchewan, est encore un peu frustré de ne pas avoir marqué de majeur sur ce jeu. Il dit qu’il aurait dû faire des pas de danse pour arriver dans la zone des buts, pour ne pas avoir trébuché avant la ligne d’arrivée.
Trois jeux plus tard, Larry Sherrer a marqué un touché pour les Alouettes. L’équipe a ensuite marqué 20 points de suite pour s’imposer 20-7.
C’était le troisième titre de la franchise (après 1949 et 1970) et leur premier sous la direction de Levy, qui est largement considéré comme l’un des plus grands entraîneurs de football de tous les temps. Sous sa direction, les Alouettes sont devenus un modèle pour la LCF. Son influence à la Coupe Grey de 1974 ne peut non plus être oubliée. Il a su réunir l’équipe et, grâce à cela, les Alouettes ont connu du succès en 1974 et au-delà.
« Marv a changé tout l’ADN des Alouettes, a déclaré Ah You à propos de son entraîneur. Quand il est arrivé, il a amené de grands entraîneurs. C’était un homme d’équipe. Il a organisé de nombreuses activités pour les familles et il comprenait à quel point il était important que les joueurs soient soudés et proches, et à quel point la famille était importante. Il nous a maintenus unis.
Nous n’aurions pas été là, et nous n’aurions pas eu le succès que nous avons eu si ce n’était pas pour Marv. Il était parfait pour les Alouettes à l’époque. Nous avions beaucoup de grands joueurs qui étaient aussi orientés vers la famille. En plus d’être de grands joueurs, ils étaient aussi de grandes personnes. Il faut ce genre d’unité et de proximité pour réussir, car il faut se soucier les uns des autres. Tu ne joues pas juste pour toi. Tu joues pour tout le monde… c’étaient tous comme des frères. Sur le terrain et en dehors du terrain. »